Par Véronique Joubert. C’est un retour attendu pour Skeels Danse, cette compagnie qui nous a offert Rose of Jericho en octobre 2017. Depuis, son chorégraphe Andrew Skeels n’a pas chômé. Parmi ses récentes réalisations, on compte cinq collaborations avec le Cirque du Soleil et deux créations pour les Grands Ballets Canadiens.

Abandon de sa compagnie montréalaise ? Pas du tout ! Il serait plutôt victime de sa notoriété au niveau international ! Nous aurons donc bientôt la chance de revoir cette compagnie, cette fois dans une somptueuse chorégraphie pour six interprètes : Past Rooms. Nous avons rencontré le chorégraphe pour en savoir plus sur cette création qui sort de l’ordinaire.

Pendant la pandémie, Andrew Skeels a perdu une de ses plus proches amies, sa mentore. Une dure épreuve pour le chorégraphe qui, comme beaucoup d’autres lors de cette période, a été contraint de vivre sa douleur dans la solitude, loin de toute cérémonie en mémoire de la défunte. Dans Past Rooms, il relate sa perte de repères dans une société insensible et inadaptée aux effets du deuil sur l’individu. Pour traiter de ce thème, il a choisi la danse-théâtre comme mode d’expression. Il s’est adjoint une équipe de concepteurs dont on voit rarement en danse, notamment un spécialiste en composition florale, un concepteur de marionnette et même… un clown comme conseiller à la dramaturgie ! Six danseurs et danseuses d’expertises variées (ballet, danse contemporaine et hip-hop) complètent l’équipe de création.

Créer une danse comme on réalise un film

Le processus créatif de Past Rooms s’est échelonné sur plusieurs années et au départ, Skeels s’inspirait principalement du roman Giovanni’s Room de James Baldwin. En plus de ce texte et de la danse-théâtre qui nourrissent la chorégraphie, le cinéma fait partie intégrante de cette œuvre. Il n’y a aucune projection, mais la pièce a été composée selon un processus de création cinématographique, procédé rarissime en danse contemporaine. Formé en cinéma, Skeels s’est servi d’un scénario en images, de captations vidéo et d’un logiciel de montage pour créer la chorégraphie.

Past Rooms est un spectacle de danse hors norme. Dans un décor baroque, des êtres aux personnalités indéfinies passent de duos intimes – d’une fluidité désarmante – à scènes théâtrales en quelques secondes. La mort est au centre du propos, mais sans lourdeur ni larmoiement. On reste du côté de la vie, dans l’absurdité et la douleur du deuil, d’un point de vue décalé. En plus d’être de merveilleux danseurs, les interprètes sont épatants de polyvalence. Ils passent aisément du mouvement dansé au théâtre, au chant, à la manipulation, à la présence immobile – clin d’œil à la tragédie grecque. La scénographie reste en mémoire longtemps après le spectacle. Un mélange de terre et de salons, lieu intemporel et nostalgique, avec des éclats scintillants.

Résolument contemporaine, la gestuelle d’Andrew Skeels est léchée, esthétique, fluide et précise. Le chorégraphe met en valeur le bagage des interprètes, qui teintent chacun à leur façon l’univers gestuel. Ajoutons à cela l’apport de chaque collaborateur, et on se trouve devant une véritable création collective orchestrée par Andrew Skeels.

Avec Past Rooms, la programmation en danse de la SPEC se démarque une fois de plus par l’interdisciplinarité de ses œuvres. Quand autant d’arts se retrouvent dans une même œuvre, on peut parier que chaque spectateur y trouvera son compte.

Danse-théâtre. Chorégraphie : Andrew Skeels. Texte : David di Giovanni. Musique : Julien Tarride. Interprétation : Alexandre Carlos, Charles Brecard, Danny Morissette, José Flores, Marilyne Cyr et Silvia Sanchez. Photo : Damian Siqueiros. Production : Skeels Danse. Durée : 1 h, sans entracte. Contient des scènes de nudité.