Par Éric Leblanc. Qu’est-ce qui reste lorsqu’on retire les murs ? Lorsqu’il ne reste que le cœur du foyer, nu, ouvert à tous les vents – la table. Lieu de mémoire, de transmission et de rencontres imprévues. C’est autour de cette table, simple mais vibrante, que l’époustouflant spectacle Sans toi [T] se déploie. Un foyer sans toit, peut-être, mais jamais sans chaleur.

C’est de là qu’est née l’idée de Janie Richard et Márcio Vinícius Paulino Silveira (duo complice révélé au grand public par l’émission Révolution) qui tracent aujourd’hui un chemin résolument personnel dans le monde de la création scénique. Après une première production remarquée, ils reviennent avec un spectacle qui tisse l’intime au collectif, l'athlétique au touchant : une ode dansée aux souvenirs partagés.

Le point de départ ? Une image simple mais mémorable : les diners du dimanche chez les grands-parents de Márcio au Brésil, où se croisaient amis, inconnus, rires et beautés quotidiennes. Cette tradition de la générosité s’est entremêlée aux souvenirs doux-amers de Janie, et ensemble, ils ont invité leur équipe à une première répétition pas comme les autres : un long brunch chez eux, où chacun partageait un souvenir marquant ! Entre les croissants, les aveux et la complicité, une matière brute du spectacle a émergé. Chaque tableau dansé en est l’écho savamment tissé.

Deux chorégraphes invitées viennent enrichir l’écriture scénique : Myriam Allard, dont le flamenco contemporain ouvre le spectacle avec intensité, et Sarah St-Denis, qui le referme dans une explosion de rythmes house et de fête. Cette alliance des styles, sans jamais diluer la signature poétique du duo, insuffle des contrastes bienvenus et ouvre encore plus grand les portes à un public large.

Une œuvre poreuse, vivante, connectée au public

Sans toi [T] n’est pas qu’un spectacle : c’est un rituel collectif, où les spectateurs déposent eux aussi leurs souvenirs, à l’entrée, sur un coin de table. L’un d’eux est tiré au sort, projeté sur scène et interprété en temps réel par l’un des huit danseurs. Ce moment d’improvisation, toujours unique, ajoute à chaque représentation une couleur propre. « À chaque show c’est différent, pis ça, on voulait faire ça aussi pour garder l’air vivant », nous confie Janie, l’œil pétillant. On a vu défiler des confidences intimes, des anecdotes d’enfance, des secrets et des aveux. Chaque souvenir devient offrande, chaque geste un miroir.

Et l’œuvre est construite de manière à accueillir tous les publics, même ceux peu familiers avec la danse contemporaine. Un narratif poignant, porté par des voix, des projections vidéo et une scénographie ingénieuse centrée sur la table, guide les spectateurs à travers des fragments de vie. La voix d’un enfant, celle d’une aînée. L’évolution d’un souvenir dans le temps. La fête, la perte, la solitude, les liens tissés et défaits. Le tout s’enchaine sans qu’on ait besoin d’un mode d’emploi.

Une communauté de corps et d’intentions

La distribution de Sans toi [T] est à l’image de sa démarche : ouverte, plurielle, profondément humaine. Le duo de chorégraphe a choisi d’intégrer autant des danseurs établis que des jeunes à leur première expérience professionnelle, créant une dynamique d’apprentissage, de mentorat et de découverte. Le choix s’est fait en atelier, en ressenti, en énergie. Et ça se sent : la cohésion du groupe sur scène est palpable. Certains danseurs, nous dit Janie, ne se connaissaient pas avant ; aujourd’hui, ils dansent ensemble, mangent ensemble, ont tressé une amitié. « Ils m’inspirent chaque fois que je les regarde sur scène, je suis vraiment émue. »

Un projet qui déborde de la scène

À chaque arrêt de Sans toi [T], les artistes collaborent avec les écoles locales de danse, proposant aux élèves de monter sur scène avec eux. Une chorégraphie apprise à distance, des corrections transmises en vidéo, une répétition la veille, et le lendemain, ces jeunes dansent au cœur d’un projet professionnel, aux côtés de leurs modèles. Le tout organisé de A à Z par Janie et Márcio. Un engagement concret pour l’avenir de la danse. Les écoles du Haut-Richelieu n’ont pas encore été contactées : les jeunes, restez à l’affût à l’automne !

Au fond, le souvenir que Janie dit vouloir garder de cette création, c’est celui du groupe. Des liens nés entre huit interprètes qui ne se connaissaient pas. De cette famille artistique formée autour d’une table. Comme un dimanche, comme chez les grands-parents, comme si la scène était une maison ouverte. Ce qui se transmet, ce qui se dit, ce qui se danse. Ce qui survit.

Danse contemporaine. Chorégraphie : Janie Richard et Márcio Vinícius Paulino Silveira, en collaboration avec les danseurs. Interprétation : Amélie Albert, Alexandre Carlos, Rosalie Caron, Marilyne Cyr, Marie-Michelle Darveau, Sara Harton, Sébastien Leroux, Justin Verreault. Mise en scène : Frédéric Bélanger. Coproduction : La Tanière, Janie et Márcio. Durée : 1 h 15, sans entracte.