Par Véronique Daudelin. Selon la légende, La Corriveau était une meurtrière sans pitié. Et si le bourreau, dans la véritable histoire, n’était pas celui qu’on pense ? Le spectacle La Corriveau – La soif des corbeaux vient jeter un éclairage nouveau sur une des figures historiques québécoises les plus connues. En chant et en musique, cette pièce de théâtre musical nous amène là où on ne s’y attend pas !

En 1763, Marie-Josephte Corriveau est condamnée à mort pour avoir assassiné son second mari. Sa dépouille est ensuite exposée sur la place publique pendant cinq semaines, encagée dans une structure de fer. Son histoire tragique a traversé les siècles et a transformé la femme en une sorcière qui aurait assassiné non pas un, mais sept maris ! Aujourd’hui, l’équipe du Théâtre de l’Oeil Ouvert revisite ce mythe en rectifiant les faits et en les reliant à des enjeux d’actualité.

« Aujourd’hui, c’est assez évident que cette femme vivait de la violence conjugale et qu’elle a probablement agi par légitime défense », affirme en entrevue Jade Bruneau à propos de son personnage, elle qui est aussi metteure en scène du spectacle et directrice générale et artistique de la compagnie Théâtre de l’Oeil Ouvert. C’est à partir de cet angle méconnu que les auteurs Geneviève Beaudet et Félix Léveillé ont coécrit la pièce, en s’inspirant d’éléments historiques validés. La pauvre condamnée, qui ne parlait pas anglais, aurait subi un procès injuste, mené par des Britanniques qui cherchaient avant tout à imposer leur pouvoir et à intimider le peuple.

Si le propos peut sembler lourd, le spectacle ne l’est pas ! Le public se surprend à rire, pour ensuite se laisser prendre par l’émotion. Chant, musique, chorégraphies… La mise en scène présente un travail choral découpé au scalpel, débouchant sur une performance saisissante. La musique, présente tout au long du spectacle et interprétée sur scène par trois musiciens, devient carrément un personnage de la pièce, venant s’ajouter aux huit interprètes qui jouent tous plus d’un rôle. Le résultat est d’envergure, alors qu’on a affaire à une compagnie de production aux moyens modestes. « La clé, c’est l’ingéniosité, ce n’est pas l’argent », affirme fièrement Jade Bruneau, qui ne tarit pas d’éloges pour son équipe de création et pour les interprètes. « C’est du gros talent, avec des capacités un peu surhumaines ! »

Sur scène, musique, dialogues, chansons et chorégraphies s’enchainent pendant plus de deux heures (avec entracte). Le public est époustouflé. Après presque 75 représentations, le commentaire qui revient le plus souvent des spectatrices et spectateurs, c’est « Je ne m’attendais pas à ça ! » Les gens sont surpris par la forme du spectacle, par la construction du texte et par la plume poétique et engagée. Ils en sortent bouleversés. « Une des forces du théâtre musical, souligne Jade Bruneau, c’est de réussir à rejoindre un très large public aux sensibilités différentes, car les gens sont parfois davantage touchés par les mots, par les voix chantées ou par les chorégraphies. Les gens quittent ce spectacle en ayant envie de prendre soin des femmes qui les entourent », confie avec une pointe d’émotion celle qui croit fermement que les spectacles peuvent changer le monde.

Selon cette créatrice aux multiples chapeaux, « le théâtre musical gagne à être davantage connu, lui qui est souvent confondu avec la comédie musicale. Alors que la comédie musicale est légère et axée sur le divertissement, et que les chansons pourraient en être extraites sans nuire à l’histoire, le théâtre musical, lui, présente beaucoup plus de complexité dramaturgique. Les chansons sont des scènes essentielles à l’histoire, indissociables. Il y a un sens à la musique. Si le personnage se met à chanter, il y a une raison ! »

Avec son théâtre musical de création, le Théâtre de l’Oeil Ouvert réussit un triple exploit : celui de faire des œuvres dont la qualité est reconnue à la fois par le public, les critiques et les gens du milieu artistique. La compagnie a déjà d’autres projets en branle, elle qui s’est donné comme mandat de mettre en lumière les femmes qui ont marqué le Québec. Voilà un terrain fertile, et prometteur. La prochaine création baptisée La Géante mettra de l’avant une icône plus grande que nature : La Poune.

Théâtre musical. Texte : Geneviève Beaudet et Félix Léveillé. Mise en scène : Jade Bruneau. Musiciens : Marc-André Perron, Chris Barillaro et François Marion. Interprétation : Renaud Paradis, Hélène Major, José Dufour, Frédérique Mousseau, Karine Lagueux, Simon Labelle-Ouimet, Jade Bruneau et Simon Fréchette-Daoust. Photo : André Chevrier. Production : Théâtre de l’Oeil Ouvert. Durée : 2 h 15, avec entracte