Par Jennifer Tremblay.

Les codes de la tragédie grecque et les codes de la lutte sont les mêmes : voilà la prémisse de départ du projet d’Hilaire St-Laurent qui a pris forme petit à petit dans son esprit et qui est devenu Agamemnon in the Ring, cette pièce de théâtre intense et immense rassemblant une douzaine d’interprètes. Hilaire St-Laurent rayonne quand il parle de son spectacle.

Comédie, tragédie, spectacle de lutte, comédie musicale, métaphore de la nuit des longs couteaux, allusion en filigrane à l’histoire de la lutte au Québec, et évocations du rap battle : cette multitude de thèmes, de formes et de genres se superposant pourrait en effrayer plus d’un. Mais la puissance du texte et les performances des actrices et acteurs nous enchantent de telle manière qu’on pénètre dans cet univers par la grande porte de la complicité entre ses créateurs, ses interprètes et le public.

« Chacun y trouve son compte. Le côté martial et les combats interpellent plus les jeunes. Les adultes aiment l’humour. Tout le monde y trouve du plaisir… Le PLAISIR : voilà l’émotion que je veux créer ! » explique l’artiste qui souhaite sortir le théâtre de son écrin et lui redonner son statut d’art populaire. « Je suis à la fois un intellectuel et un grand niaiseux. »

« Avec Agamemnon in the Ring, on est à la fois dans la satire de la tragédie, de la lutte et du théâtre. » La tragédie grecque – avec ses rebondissements, ses histoires de trahison, de courage et d’actes héroïques ; avec ses sagas familiales, ses retournements incroyables, et ses dilemmes tragiques – a le pouvoir de faire vivre une catharsis, comme la lutte d’ailleurs ! « Les séries qu’on écoute et qu’on aime tant sont aussi complètement basées sur ce modèle », nous rappelle à juste titre Hilaire St-Laurent.

Il a fignolé ce texte pendant six ans. « Ça a été un travail d’orfèvre », confie-t-il. Notre époque est-elle favorable au travail de longue haleine, qui exige autant de concentration et de minutie ? Parce que ce texte complexe, il l’a écrit en alexandrins ! Cela tient littéralement de la performance ! « Je suis un perfectionniste pressé », répond-il en riant. « Au début, j’écrivais cinq ou six alexandrins par jour. Mais le moment est venu où je devais finir. J’étais au pied du mur… puis en une journée, j’ai écrit 86 alexandrins ! À partir de là, j’étais sur ma lancée. Je travaillais à ce texte partout, tout le temps ! »

« Je me suis dit que ce serait bien que le veilleur, qui ouvre la pièce, s’exprime en alexandrins. Après avoir réécrit cette scène, il m’est apparu clair que l’alexandrin était la solution que je cherchais pour conférer à la pièce un caractère sacré, pour lui donner de l’ampleur et faire écho à la performance physique. »

Hilaire St-Laurent a sciemment mis de côté certaines règles de l’alexandrin (par exemple, les rimes masculines/féminines, et l’hémistiche), mais s’est permis d’en inventer d’autres, qu’il respecte tout au long du texte. « Je me suis réapproprié cette forme, en quelque sorte. » Résultat ? Le texte, musical, surprenant, drôle, donne au spectacle un côté plus grand que nature.

Agamemnon est un personnage important de la mythologie grecque, et pourtant on parle bien peu souvent de lui. Ainsi, quand on évoque la guerre de Troie, c’est d’abord Ulysse qui nous vient à l’esprit. Pourquoi ce choix ? « Agamemnon est un personnage complexe, à la fois humain et barbare. Il a plusieurs facettes », explique l’auteur.

Le lutteur professionnel Marco Estrada coache les comédiennes et comédiens qui ont appris les bases du métier pour les besoins de la cause. La musique de Fred Tremblay s’accorde parfaitement au projet et lui confère sa dimension rock’n roll. « Chaque concepteur a apporté au spectacle ses idées et son imaginaire. Et c’est tant mieux. »

Récemment publié aux Éditions de Ta Mère, le texte Agamemnon in the Ring a reçu des critiques dithyrambiques. « Je suis dyslexique. Je ne pensais jamais écrire un jour. À l’École nationale de théâtre, on avait un cours d’écriture. J’ai dit qu’il n’y avait pas trop à espérer de moi… Je m’étais mis une barrière… pour rien ! Parce qu’en fait, l’amour du théâtre a fait tomber cette barrière. Parfois, il faut donner la flamme plutôt que de chercher la perfection. »

Avec cette flamme qui l’habite sans doute désormais pour toujours, Hilaire St-Laurent a littéralement mis le feu aux mots… et à l’arène !

Comédie. Texte : Hilaire St-Laurent. Mise en scène : Sofia Blondin et Hilaire St-Laurent. Composition musicale : Frédérick Tremblay. Interprétation : Frédéric Desager, Maude Demers, Nicolas Centeno, Joanie Guérin, Frédéric Lavallée, Hilaire St-Laurent, José Dufour, Marie-Andrée Lemieux, Pierre-Antoine Pellerin, Pierre-Alexis St-Georges, Frédérick Tremblay, Catherine St-Martin et Rebecca Vachon. Photo : Najim Chaoui. Production : Les Créations Unuknu. Durée : 1 h 50, sans entracte.

Agamemnon in the Ring
3 novembre 2023 à 20 h
Salle Desjardins
Théâtre des Deux Rives

Photo Najim Chaoui