Par Jennifer Tremblay. La Géante, c’est la rencontre de la création, du jeu, du chant, de la grande et de la petite histoire émouvante d’une femme qui a marqué le Québec. « Je suis sur mon X ! C’est mon projet bonbon ! » s’écrie presque Gabrielle Fontaine quand je lui demande comment elle se sent dans le rôle de La Poune.

La metteuse en scène Jade Bruneau a été fort inspirée de proposer à la sémillante jeune comédienne d’interpréter Rose-Alma Ouellette. Gabrielle confie se reconnaitre dans son personnage : « J’ai vraiment beaucoup d’énergie ! »

Née en 1903 dans le Faubourg à m’lasse, celle qui allait devenir La Poune a fait son chemin dans la vie en défiant l’autorité, et ce, plus souvent qu’à son tour. Elle raconte elle-même, dans les entrevues que l’on peut trouver dans les archives, qu’elle a changé d’école trois fois, et qu’elle a été jetée à la porte de l’usine de souliers où elle avait finalement trouvé du travail, faute de pouvoir retourner à l’école, car on ne voulait plus d’elle nulle part. « Elle jouait de l’accordéon et elle chantait sur l’heure du midi pour les ouvriers », raconte Gabrielle Fontaine. Or Rose-Alma n’avait pas trop envie de ranger l’accordéon une fois qu’elle l’avait réchauffé…

« La Poune, c’est une figure inspirante. C’est sûr que jouer ce rôle, ça teinte la personne que je suis », raconte la comédienne, qui se prépare en ce moment physiquement et vocalement à la tournée estivale du spectacle. Parce que danser et chanter en même temps, cela exige un cardio à toute épreuve. « Quand j’arrive en salle, avant la représentation, je fais du jogging dans les coulisses pour me réchauffer. C’est nécessaire pour commencer le spectacle avec la bonne énergie ! »

Pour se préparer à interpréter son rôle, Gabrielle raconte avoir d’abord procédé d’une manière assez scolaire. La première étape a consisté à écouter des entrevues et des archives. Jade Bruneau et elle ont choisi de ne pas tomber dans l’imitation, qui risquait de mener le personnage tout droit vers la caricature. « Je ne roule pas mes rrrrr. J’ai gardé sa façon de dire certains mots. J’ai gardé mon énergie et ma posture. En fin de compte, j’ai gardé d’elle tout ce qui me vient spontanément. Le résultat est un alliage entre elle et moi », explique l’interprète.

Malgré cette distance prise avec la « vraie » Rose-Alma Ouellette, les réactions du public sont étonnantes : « Des gens m’ont dit qu’ils l’avaient vue, qu’elle était là, sur scène, avec nous. Ils voulaient revoir le spectacle pour la voir réapparaitre », relate la comédienne, visiblement émue de voir opérer la magie. Elle poursuit : « Tout est magique dans ce spectacle. C’est un peu comme un conte. Ça touche tout le monde. Même les adolescents. »

En effet, dans la salle, c’est la rencontre des générations. Ceux qui ont connu La Poune, ceux qui ne l’ont pas connue, ceux qui en ont une vague idée… « Quand Jade m’a appelée et qu’elle m’a proposé le rôle de Rose-Alma Ouellette, j’ai dit “C’est qui, ça, Rose-Alma Ouellette ?!?” Je connaissais La Poune, mais pas son vrai nom », dit en riant la jeune comédienne, trop jeune en tout cas pour avoir vu La Poune en représentation au Théâtre des Variétés !

La femme qui est montée sur scène pendant près de 75 ans pour faire rire « son » public, et qui a été la première femme en Amérique du Nord à diriger un théâtre, est ici reconnue et appréciée à sa juste valeur. L’autrice Geneviève Beaudet dessine un portrait inspiré du réel, mais aussi fortement teinté d’imaginaire. Ses chansons ont été mises en musique par Audrey Thériault, et sont interprétées avec grâce et puissance par des interprètes complètement investis dans leurs rôles. Outre Gabrielle Fontaine, notons la présence sur scène de Simon Fréchette-Daoust, Rita Tabbakh, Christian Laporte, Jade Bruneau, Émanuel Frappier, Philippe Robert, Stéphanie Arav.

À noter que les mélomanes dans la salle sont comblés : présents sur scène, trois musiciens interprètent la musique d’Audrey Thériault, sous la direction de Marc-André Perron.

Toute sa vie, La Poune a repoussé les limites. Elle a refusé le moule qu’on imposait aux femmes de son époque, les barrières que dressaient la pauvreté, la religion, la morale… Et dans ce sens, la proposition du Théâtre de l’Oeil Ouvert respecte parfaitement l’essence de la grande artiste du burlesque.

Théâtre musical. Idée originale, texte et paroles : Geneviève Beaudet. Mise en scène : Jade Bruneau. Interprétation : Stéphanie Arav, Jade Bruneau, Gabrielle Fontaine, Émanuel Frappier, Simon Fréchette-Daoust, Christian Laporte, Philippe Robert, Rita Tabbakh. Musiciens : Mathieu Bourret, François Marion, Marc-André Perron. Musique originale : Audrey Thériault. Direction musicale et arrangements : Marc-André Perron. Direction vocale : Chris Barillaro. Production : Théâtre de l’Oeil Ouvert. Durée : 2 h 15, avec entracte.

Photo Annie Dyotte