Par François Marchesseault. Voilà déjà une dizaine d’années que les masques sont tombés. Qu’Edgar Bori est sorti de l’ombre pour jouer et chanter à visage découvert. Pour le spectacle Poésinutiles, il va plus que jamais à la rencontre du public qu’il invite près de lui, autour de lui, jusqu’à regarder chacun des spectateurs dans les yeux, l’un après l’autre. Un premier seul en scène, ou serait-ce plutôt un trio : lui, le public… et la poésie.

Au bout du fil, en ce matin de fin d’automne enneigé, Edgar Bori a un sourire et un enthousiasme débordant dans la voix. Une seule question est nécessaire pour qu’il réponde à toutes celles préparées. Il parle de ses Poésinutiles, colossal projet, avec une passion et une verve débordante.

Poésinutiles : le titre de ce spectacle, certes, mais aussi d’un recueil de poésie ainsi que de trois volumes de poèmes chantés ou dits, mis en musique, et parus depuis 2020. Une ode aux mots, ceux qu'on ne lit et n’écoute peut-être plus assez. Un projet en mémoire de son ami, le poète Michel Garneau, mort en septembre 2021, l’un des premiers à avoir posé ses yeux sur ces Poésinutiles.

Ce mot est venu à Bori après une rencontre avec des étudiants d’un conservatoire, en France. « Voyant ces jeunes-là qui voulaient jouer Othello, qui voulaient jouer Shakespeare, Cyrano, les voyant avec leur flamme, puis leur fougue, je sors de là et le mot me passe en tête : poésinutile. » Le mot allume la flamme créatrice du poète. « Je me dis “ça fait longtemps que tu n’as pas écrit, va donc te chercher un cahier”. En haut du cahier, j’écris poésinutile. Puis poésidyllique, puis poésivernale… » Il écrit des titres comme ceux-ci sur trente-six pages, laissant deux pages blanches entre chacun. « Dans les semaines qui ont suivi, j’ai rempli, au bord de la mer, au crayon, d’instinct, sans vouloir être intelligent, tout ce que ça pouvait évoquer », raconte Bori.

Il a ensuite travaillé ses textes, puis les a montrés à Michel Garneau qui l’a rassuré sur la pertinence de les imprimer : « Absolument mon Bori, faut que tu le fasses. » Garneau a pris le projet sous son aile, prêtant même sa voix aux mots de Bori sur sept poèmes qui se trouvent sur Poésinutiles Volume 2, certains des moments les plus beaux et touchants de ce disque à écouter absolument.

Avec l’aide du metteur en scène français Michel Bruzat, qui avait aussi collaboré au spectacle Garneau/Bori, présenté de 2017 à 2022, Bori a créé l’univers scénique de ses Poésinutiles. Dans un décor simple et volontairement devant un nombre restreint de spectateurs, il partage non seulement les poèmes de son recueil, mais aussi des anecdotes de sa vie, puis quelques chansons en s’accompagnant au ukulélé ou à la guitare. Comme une conversation, sans micro, sans moniteur.

Bori se raconte dans une théâtralité touchante, endossant aussi quelques personnages, dont un magicien ou encore un ami devenu fou à force de vouloir voler trop haut…

Poésinutiles permet une rencontre entre l’humain et une poésie de la vie, des cuisines, populaires sans être populistes, qui parle de la naissance, de l’enfance, de la révolte adolescente, de la déception, du bonheur, de l’amour… et de la mort. Un spectacle pour continuer de croire en cette poésie et dédramatiser l’existence.

Au bout du voyage poétique, Edgar Bori s’assoit pour jaser avec les spectateurs. Un dernier échange, un dernier regard partagé avant de poursuivre son chemin. Et souvent, selon ses propres mots : « Les gens sortent de là avec des ailes. »

La poésie de Bori, pour toucher les nuages.

Edgar Bori
23 mars 2024 à 20 h
Salle Emma-Albany
Pôle culturel de Chambly

Photo Elizabeth Delage