09/04/2021

Quoi de neuf?

Le chapeau de Chaplin pour dénoncer le présent

Par Isabelle Laramée. Après le discours d’inclusion de Félix et Meira qui lui aura ouvert la voie jusqu’à la course aux Oscars, le réalisateur Maxime Giroux revient à la charge avec La grande noirceur qui traite de l’exclusion et de la violence provoquées par le mode de vie des contemporains. Un film coup de poing, difficile parfois, mais ô combien utile.

Durant la Deuxième Guerre mondiale, on suit Philipe (Martin Dubreuil), un déserteur québécois réfugié dans l’Ouest américain (magnifié par les images de Sara Mishara) qui survit grâce à des concours d’imitation de Charlie Chaplin. Lors de son retour dans la province, il croisera d’étranges individus sous l’emprise d’une folie destructrice.

Voir La grande noirceur

Présentée dans les festivals du film de Toronto, Québec et Calgary (où elle a remporté le prix du Meilleur film canadien), l’œuvre coécrite par Simon Beaulieu, Maxime Giroux et Alexandre Laferrière est une métaphore de l’époque dans laquelle on vit, explique Maxime Giroux. « Ce monde a changé depuis deux ans, dit Maxime. Donald Trump incarne ce changement qu’on observe au Québec, en France et au Brésil notamment. Car tout tourne autour des États-Unis dans la société moderne, et on avait envie de parler de ce monde dangereux, violent et épeurant, dans ce sens qu’il y a une violence présente et même si on se fait violence par la même occasion, on fait partie de ça. On participe au système qui demande de devenir plus puissant chaque jour. Sinon, on s’affaiblit. On n’a donc pas le choix même si ça signifie de détruire la planète ou de faire violence à l’autre. »

Pourquoi Charlie Chaplin ?
Pour incarner ce paradigme, les scénaristes ont choisi le personnage de Charlie Chaplin. Pourquoi ? Parce qu’à lui seul, il est le symbole d’Hollywood, qui est l’outil de propagande par excellence des Américains. « Il est aussi devenu un communiste notoire, poursuit le réalisateur. Hollywood a un grand rôle dans l’iconographie de l’Amérique et le désir de contrôler l’autre par la culture. Ils le font encore aujourd’hui. C’est aussi pourquoi notre personnage est un Québécois errant, perdu aux États-Unis en temps de guerre. Le discours du film a beaucoup de couches. Le Québec est en train de perdre sa culture au profit de la culture mondiale. Si on veut réussir en culture, on doit le faire en anglais à cause de l’économie du marché anglo-saxon. C’est ça qui nous fait violence et fait en sorte que notre culture s’effrite. »

La grande noirceur s’ouvre d’ailleurs sur un discours écrit par Charlie Chaplin en 1948, pour Le Dictateur, un film sur la tolérance et aussi sur la violence du système. « Force est d’admettre, poursuit Maxime Giroux, que 70 ans plus tard, rien n’a réellement changé. L’humain est peut-être profondément violent en soi et peut-être qu’il n’a pas le choix de l’être pour s’en sortir dans le système dans lequel il évolue. »

Le choix de l’acteur Martin Dubreuil s’est imposé de lui-même. Sans lui, le film n’aurait pas eu lieu. « Il a la capacité de se transformer et il joue notamment avec son faciès, table Maxime Giroux qui a aussi pu compter sur Romain Duris, Sarah Gadon, et Reda Kateb. Il parle peu. Il subit. La construction du personnage était donc plutôt physique. »

Le tournage a d’ailleurs été éprouvant, raconte le réalisateur évoquant des scènes de course, de nudité dans le froid et même trois jours de tournage dans la boue. « On a fait le film comme on devrait toujours faire de l’art. On s’est regroupé entre amis en se foutant du succès. À la façon des étudiants en cinéma à l’université. Les acteurs ont tripé sur le plateau, car même nous on est pris dans un système avec les agents, les producteurs et les ventes de pop-corn. Mais le pop-corn, je m’en fous. L’art est un geste, pas juste un résultat final. »

 

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